L'éducation des enfants dans la nature est actuellement au premier plan. Le contexte sanitaire, appuyé par de nombreuses études scientifiques sur les bienfaits du "dehors", semble enfin rendre pertinent ce que beaucoup pratiquent et argumentent depuis belle lurette, en France et ailleurs dans le monde... et ce qui se faisait bien plus avant, soit dit en passant. Enseignants, acteurs.rices du monde associatif ou de l'éducation populaire... elles.ils sont nombreux.ses à participer à cette belle ruée vers le dehors, pour y amener les enfants, jouer, apprendre et grandir. Comme dans toutes les ruées, l'urgence est de mise - cela fait bien longtemps que certain.e.s se battent pour un peu plus de nature dans nos écoles et dans la vie de nos enfants... et comme dans toutes les ruées, une multitude d'approches s'y côtoient, de manières plus ou moins claires, théorisées ou exprimées. Dans les spotlights de cet article, deux mots qui se retrouvent, en ce moment, en veux-tu en voilà, sur les réseaux sociaux et autres destinations virtuelles.
Alors, comment décider de ce que tu souhaites mettre en œuvre - Pédagogie Par la Nature (PPN) ou École du Dehors ? Quelles sont les différences entre les deux et comment choisir le type de pédagogie qui te convient ? Nous te proposons un tour d'horizon de ces deux pratiques - prêt.e ? C'est parti.
L'École du Dehors consiste à faire sortir les apprentissages à l'extérieur. Elle peut être dispensée n'importe où : sur un terrain de jeu, dans une cour d'école ou dans les bois. Elle peut être dirigée par tout enseignant.e qui souhaite amener sa classe dehors. Souvent limitée dans le temps et ponctuelle, elle s'adresse à toute la classe. Les sessions ont un début, un milieu et une fin, avec un but spécifique initié et choisi par l’adulte. Elles se concentrent généralement sur les aspects cognitifs de l'apprentissage et sont basées sur le programme scolaire et organisées par les adultes accompagnateurs. L'apprentissage peut être considéré comme transactionnel.
L'espace extérieur est souvent rendu visuellement attrayant, ce qui le rend rapidement et facilement accessible pour que l'activité puisse être appréciée immédiatement. Les ressources (souvent de l'intérieur) sont fournies et ne dépendent pas de l'environnement. En un mot, l'École du Dehors est une question de "faire", elle est le lieu d’activités, proposées et initiées par l’enseignant, avec certains objectifs.
L’environnement naturel nourrit un cadre relationnel apaisant et bénéfique aux apprentissages ; il peut aussi fournir des ressources pertinentes et plaisantes sensoriellement. Le mouvement inhérent à cette pratique favorise également l’apprentissage et s’avère particulièrement bénéfique pour certains enfants qui ont parfois du mal à apprendre entre quatre murs. Enfin, l’ouverture de la salle de classe sur l’extérieur contextualise les apprentissages, amène les enfants à la rencontre du monde tout en élargissant le champ des possibles en termes d’intervention d’autres personnes sur certaines thématiques (le garde forestier, l’éducateur à l’environnement etc.). Sans parler, bien sûr, du fait qu’elle est bonne pour la santé - de tant de façons bien documentées maintenant.
La Pédagogie Par la Nature (PPN) est facilitée par des personnes spécifiquement formées à cette approche, des pédagogues par la nature. Elle se concentre sur l'ensemble, l'unique et le brillant de chaque enfant. Elle est basée sur une philosophie et une éthique particulières, celle d'accroître l'estime de soi, l'indépendance, la confiance en soi et le bien-être de l'enfant. Il s'agit là de compétences vitales qui aident les enfants à maximiser leur potentiel. Parce qu'elle ne suit pas de programmes ou d'objectifs d'apprentissages institutionnels, la PPN met le participant (ses compétences, ses intérêts, ses émotions, ses peurs ou faiblesses...) au cœur du processus pour l'accompagner vers l'épanouissement.
Les séances se déroulent de manière consensuelle sur le long terme et sont dirigées par l'enfant. La PPN ne se "fait" pas, elle se vit. Les pédagogues par la nature apprennent continuellement aux côtés des enfants, réapprennent ce qu'ils ont eux-mêmes oublié dans leur enfance, sont capables d'interagir avec sensibilité et de jouer avec eux, observer et soutenir à leurs côtés.
La suppression d'une routine structurée offre aux enfants un sentiment de liberté, les aidant à s'étendre au-delà des murs des limitations et alimentant leur désir inné de prendre des risques et de découvrir. Comme la PPN requiert un taux d’encadrement plus élevé pour assurer une sécurité adéquate et accompagner les participants, les possibilités et les directions qu'une session peut prendre sont infinies et fluides.
La nature fournit les ressources et le temps est moins restrictif car les sessions sont récurrentes, ce qui permet de développer une compréhension profonde. Le cadre est un bois, un environnement sans pareil où tout change tout au long de l'année pour évoquer l'imagination, la réflexion et la création, stimulant ainsi le désir inné de l'enfant d'apprendre.
La PPN est un "sentiment". Une expérience de tout ce qui nous rend humain et vivant.
Mais alors, pourquoi, me diras-tu, insister sur les différences entre ces deux concepts ? Parce que connaître les contours de chacun, c'est se donner la possibilité d'approfondir la technicité de nos pratiques. Parce que connaître leurs différences, c'est être capable de préserver l'essence de chacun et d'imaginer leurs complémentarités. Et puis parce que maîtriser les spécificités de chacun, c'est développer notre aisance dans le passage de l'un à l'autre, et dans les zones de «gris». Bien sûr, l'enfant peut faire des apprentissages formels en plein milieu d'un jeu libre ou d'une création artistique en Pédagogie Par la Nature. «Tonnerre de Brest», a écrit cet enfant à côté de son Capitaine Haddock en land art. De l'autre côté du miroir, il est aussi clair que les enfants font certains apprentissages «libres»/informels au cours d'une séance de l'Ecole du Dehors. Un moment d'inattention pour l'activité se transformera peut-être en rêverie-observation de la canopée, par exemple.
La façon dont l'adulte reçoit et accompagne ces autres apprentissages, la présence de consignes et d'objectifs d'apprentissages ou, au contraire, leur absence, le rôle de chacun et le type d'interactions au sein d'une session sont autant de pistes pour clarifier les contours de chaque concept.
En tout cas, c'est ce aussi ce que pensent certains de nos voisins, comme les britanniques chez qui la «forest school» (PPN) et le «outdoor learning» (École du Dehors) sont deux pratiques et deux choix pédagogiques différents.
Enfin, selon les contextes éducatifs nationaux, cette distinction sera plus ou moins pertinente. En Scandinavie, par exemple, où les apprentissages formels des fondamentaux commencent plus tard au profit d'une grande place laissée au jeu libre et au développement holistique de l'enfant, il est peut-être moins essentiel de clarifier les contours de ces deux approches. En France, les attentes institutionnelles portent, et ce de plus en plus, sur l'acquisition de connaissances et la transmission de savoirs (cf les réformes de programme). Dans ce contexte-là, il nous paraît encore plus essentiel de bien définir les spécificités de ces deux pratiques du dehors.
Ces deux approches pédagogiques peuvent bien sûr se côtoyer dans une même journée, mais elles sont bien deux ambiances distinctes. Le rôle des adultes est très important et doit être l'une des premières choses à définir. Se poser des questions peut souvent aider à clarifier nos objectifs et nos buts. Qu'espérons-nous que les enfants réaliseront ? Quel est mon rôle en tant qu'adulte ? Pourquoi allons-nous à l'extérieur ? Comment vais-je consigner les preuves de mes expériences ? Quelle est ma philosophie de l'environnement ? Quel genre d'expériences de plein air est-ce que je veux offrir ? On pourrait aussi se demander : "combien d'enfants puis-je accueillir et gérer ?" ou peut-être même : "quel nombre optimal d’enfants puis-je accueillir tout en établissant une relation particulière et solide avec chacun d’entre eux" ?
L’évaluation réflexive te permettra de cheminer vers le type de pratique du dehors que tu souhaites mettre en œuvre. Dans tous les cas, la PPN et l'École du Dehors mettent toutes les deux en lumière le fait d'être à l'extérieur et la façon dont ce changement d'environnement affecte profondément notre façon de vivre les choses, de nous sentir et d'apprendre. Et en ce sens, elles sont toutes les deux essentielles dans le passage d’une “indoor generation” (génération de l’intérieur) à une “outdoor generation” (génération du dehors), résiliente et connectée à son environnement.
Janine HORNETT et Julie RICARD
mars 2021
Merci pour cet article très utile, qui fait le point sur ces deux notions qui participent ensemble à la création d'une "culture du dehors" si nécessaire en France !
Pour ma part, le défi est justement de former en/à la pédagogie par la nature (ou en "éducation par la nature" comme l'appellent nos voisins québécois depuis bien longtemps) les enseignants, éducateurs et accompagnateurs pour qu'ils puissent mener leurs temps d'apprentissage dehors grâce à et à partir des principes de la PPN.
On est en effet sur deux notions qui, historiquement, étymologiquement et socialement, se sont développées en parallèle mais qui trouvent justement leur force lorsqu'elles convergent vers un objectif commun : favoriser les apprentissages dans leur diversité - y compris…
Merci pour ce bel article qui m'a beaucoup éclairé sur ces 2 concepts 🙏😊