Entre Santiago du Chili et la Cordillère des Andes est né, en 2019, Aprender en la Naturaleza (Apprendre dans la nature), le premier jardin d’enfants dans la forêt de la capitale chilienne. Avec Matías Knust, j’ai cofondé(1) cette école.
L’idée surgit en 2014, à la fin de nos études de Master d’études de l’enfance, pendant que nous travaillons dans les écoles maternelles en Norvège. Dans ce pays, l’Éducation nationale attache une grande importance au jeu libre et à un contact régulier avec la nature depuis les tout premiers âges. En maternelle, les enfants norvégiens apprennent à leur propre rythme, au gré de leur curiosité. J’ai encore le souvenir de ma première journée à l’école en Norvège : une belle journée d'automne sous la pluie, où les enfants sont heureux de jouer avec l’eau tombant du toit et des gouttières. Enfants et professeurs étaient préparés pour être à l’extérieur, avec des vêtements adéquats. Je n’en revenais pas. Dans mon enfance, en Espagne, c'était un rêve ; pour eux, leur quotidien.
Revenons en 2019. Au Chili, deux éléments m’ont poussée à créer une école : d’un côté, permettre à des enfants et leur famille de découvrir et s’imprégner de cette pédagogie ; de l’autre, inciter les étudiants et enseignants en sciences de l’éducation, les chercheurs, le ministère de l’Éducation chilien et les élus locaux à connaître les bienfaits de cette pédagogie pour qu’elle puisse avoir un accueil favorable. Nous avions un postulat : ne pas importer un copier-coller d’une pédagogie d’un pays d’un autre hémisphère, mais plutôt coconstruire avec les gens sur place, selon la réalité du pays. Au Chili, les taux de suicide des mineurs et d’obésité sont très élevés parmi les pays de l’OCDE. L’école dans la nature peut être une réponse à ces phénomènes. Grâce à la mise en place de cette pédagogie, nous avons observé que les enfants grandissent en ayant davantage confiance en eux. Ils sont heureux, rêveurs, imaginatifs, collaborent entre eux, sont plus ouverts à leur environnement proche et lointain. La relation de bienveillance, de respect et le climat de confiance avec les professeurs permettent aux enfants d’évoluer dans un cadre sûr, favorable aux apprentissages.
Avant d’arriver au Chili, j’ai eu l’opportunité de travailler dans des écoles forêts à l’environnement chatoyant. À Santiago, le contexte était totalement différent : une capitale de 7 millions d’habitants, sujette aux alertes de pollution de l’air, une difficulté majeure à se déplacer, un pays en première ligne face au réchauffement climatique… Malgré cela, il y a des îlots de biodiversité qui permettent aux enfants d’avoir un contact régulier avec la nature. Un exemple : la Cordillère des Andes centrale dispose d’une forêt “esclerofilo”, mot qui proviennent du grec “sklerós”, dur, ; et “phyllon”, qui veut dire feuille. Elle se trouve dans cinq lieux au monde : Chili, Afrique du Sud, Californie, Australie et la région méditerranéenne.
Pour des raisons pratiques, nous avons lancé notre école dans une ferme pédagogique existante. C’est un espace fermé et préparé pour accueillir des enfants. Dans un pays marqué par l’insécurité, cette donnée était importante aux yeux des familles. Cela rassurait aussi les parents car la plupart des enfants n’étaient pas habitués à jouer librement dans des espaces naturels avec des terrains irréguliers. Un autre argument pour convaincre les parents était la présence d’animaux dans la ferme pédagogique (chèvres, chevaux, vaches, lamas).
Après quatre années, l’école a connu un changement d’ampleur. Nous avons quitté la ferme pédagogique pour rejoindre le parc naturel Aguas de Ramón, toujours sur les hauteurs de la capitale chilienne, au pied de la Cordillère des Andes. La relation avec la nature est encore plus profonde et surprenante. Les observations et les contacts des enfants avec la faune et la flore sont différents, entre des animaux sauvages et les animaux de la ferme pédagogique. Ce changement de lieu a été possible grâce à la confiance nouée avec les parents. Ces derniers ont compris l’intérêt du projet pédagogique. Le seul bémol, compréhensible, c’est l’utilisation du feu comme ressource pédagogique. Celui-ci est logiquement interdit dans le parc naturel, marqué par des incendies parfois dévastateurs.
Pour la création de l’école, nous nous sommes inspirés des jardins d’enfants norvégiens, allemands et des “forest schools” anglais. Dans les piliers fondamentaux du projet pédagogique, on retrouve les sept points clés du réseau RPPN : le jeu libre - un lieu naturel inspirant - les participants au cœur des pratiques - la présence de l’adulte - la récurrence et le temps long - le processus, pas le résultat - la prise de risque mesure. Nous avons mis au cœur de notre projet l’écoute des enfants et leurs besoins.
Nous nous sommes également inspirés du réseau espagnol de la pédagogie par la nature (EDNA), dont le ratio (1 adulte pour 8 enfants). Enfin, plusieurs principes régissent le fonctionnement de notre école : tendre vers le zéro déchet, une alimentation saine et intuitive (les enfants composent leur assiette sur la base de différents aliments au choix), une communication respectueuse et sortir dans différents lieux de la ville (culturel, notamment) pour que l’enfance se réapproprie l’espace public.
Concrètement, des enfants entre 2,5 et 6 ans viennent à notre école du lundi au vendredi, de 8h30 à 13h30. Chaque journée a son activité ou routine (2), bien que nous nous adaptons avant tout aux besoins des enfants, des adultes et à la météo du jour. Pour les professeurs, il est important d’observer les besoins et envies des enfants pour transmettre un apprentissage. Il faut aussi connaître la nature et son environnement comme “ressource” pédagogique. Les saisons marquent le rythme de l'année et les contenus d’apprentissage. Symboliquement, nous fêtons chaque changement de saison, afin d’éveiller les enfants aux caractéristiques de chacune. Ainsi, ces fêtes sont un motif pour observer et étudier la nature, la vivre et la célébrer.
Une journée commence à 8h30. Les plus matinaux arrivent en courant et nous aident à préparer la “salle” de classe. À 9 h, un professeur joue de la flûte pour signifier le début de la journée et se retrouver dans un “cercle de bonjour”. Dans cette petite assemblée, nous nous saluons, évoquons la journée à venir, des anecdotes et histoires, chansons et danses. Après, nous prenons le petit déjeuner et chacun joue librement. Vers 11 h, une maîtresse va commencer à faire l’activité du jour et invite les enfants à participer. Ensuite, ils ont une nouvelle session de jeu libre, suivie d’un moment de conte et une collation.
Pour l’acquisition des apprentissages, nous nous basons sur le programme de l'Éducation nationale chilienne à la seule différence, de taille : nous veillons, par un suivi personnalisé de l’enfant, que ce dernier acquiert l’ensemble des savoirs à la fin du cycle (trois à quatre ans selon les parcours) au sein de notre école.
Pour répondre aux demandes des parents, dans un pays où la semaine de travail hebdomadaire est de 45 h, nous avons ouvert un groupe d’après-midi. On y trouve des enfants de 4 à 9 ans. Les enfants peuvent venir un, deux ou trois jours par semaine. Il se déroule de 14h à 17h. Ce sont des enfants qui font école à la maison ou qui sont dans des écoles publiques ou privées.
Pour favoriser la cohésion entre les parents et l’équipe pédagogique, nous organisons deux journées de construction, sur la base de notre expérience en Norvège (dugnat, en norvégien). Au menu : nettoyage, peinture, réparation, etc. Le tout ponctué d’un repas. Cela permet de renforcer les liens des parties prenantes du projet. Cela permet également d’accroître le sentiment d’appartenance au lieu. Les enfants participent à cette journée. C’est un moment important pour eux car ils peuvent mettre en image les expériences vécues et racontées à leurs parents.
Daniela Ivars
Daniela Ivars, professeure des écoles, a travaillé cinq ans dans les jardins d’enfants en Norvège, deux ans dans un jardin dans la nature en France et trois ans en tant que cofondatrice, professeure et coordinatrice pédagogique de l'école forêt “Aprender en la Naturaleza”, au Chili.
Lundi, proposition d’art ; mardi, apprentissage de l’alphabet ; mercredi, bibliothèque ; jeudi, apprentissage des chiffres ; et le vendredi, sortie dans le grand parc de la ville et des propositions de jeux. Les lundi et mercredi, nous restons avec les enfants aux alentours du refuge de l’école ; et les mardis et jeudi, nous allons à la montagne en balade.
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